AVIS D'EXPERT | Vincent Desruelles | Publié le 30 Septembre 2020
ImmobilierConstructionLa filière française de l’immobilier de bureaux retient son souffle. Face à l’urgence de la situation sanitaire, ses acteurs ont réagi en fonction de la nature de leurs métiers et des contraintes liées : placement massif en télétravail pour les sociétés de services et investisseurs, recours au chômage partiel pour les promoteurs et maintien d’une activité réduite et d’urgence pour les entreprises présentes sur site (property management, facility management). Ensuite, ils vont se heurter à un recul inévitable de la demande placée (-20% en Ile-deFrance en 2020). Ils devront également composer avec une hausse de la vacance des bureaux. Un rééquilibrage des conditions de marché va donc intervenir entre les bailleurs et les locataires, ce qui va se traduire par des pressions à la baisse sur les loyers. Compte tenu de la reprise très progressive dans l’ensemble des secteurs et du choc économique, l’impact sur les indicateurs de l’immobilier de bureaux va être très marqué en 2020 : recul du nombre d’opérations et de l’investissement en valeur ou valeurs d’actifs sous pression, dans une proportion impossible à déterminer aujourd’hui. Dans ce contexte de récession, tous les opérateurs ne seront évidemment pas logés à la même enseigne. Les promoteurs accuseront ainsi le coup avec un chiffre d’affaires en repli de 25% pour les leaders cette année. Les investisseurs seront eux moins affectés. Grâce à la résilience de leur modèle de revenus, les foncières aborderont également la crise dans une situation assez confortable (+1%). Les sociétés de services seront aussi plutôt épargnées (-5%). En revanche, l’activité des exploitants d’espaces flexibles (coworking) sera fortement pénalisée, même si leur offre devrait répondre à une plus forte demande en flexibilité au sortir de la crise. Car si le bureau fermé reste la norme, la donne pourrait changer pour le marché de l’immobilier de bureaux qui représente quelque 230 000 m² dans l’Hexagone (dont près du quart en Ile-de-France). D’abord parce que les règles de distanciation vont imposer pendant un certain temps de limiter le nombre de personnes sur site. Par ailleurs, la rationalisation des surfaces exploitées peut très bien se conjuguer avec un recours à des offres flexibles. Ensuite, les PME et TPE chercheront à prendre des locaux sans s’engager sur des baux traditionnels. Cela profitera à terme aux espaces de coworking et aux bureaux clés-en-main sans engagement, à l’image de Deskeo. Enfin, de nouvelles formes d’hybridation pourraient émerger.
Face à la hausse de la vacance, propriétaires et utilisateurs seront en effet tentés d’installer des surfaces flexibles dans leurs immeubles de bureaux. La gestion de ces espaces de corpoworking (bureaux flexibles sur-mesure) peut d’ores et déjà être confiée à des prestataires spécialisés dans l’animation de locaux flexibles. Des acteurs du coworking tel Now, avec Now Connected, ou des sociétés spécialisées comme Dynamic Workplace, sont déjà positionnées sur ce segment de marché. Sans oublier que les stratégies immobilières des entreprises doivent désormais tenir compte de la généralisation du télétravail (environ 25% des actifs). Pour adapter les bureaux à ce changement majeur, l’une des options possibles est le recours au flex office (pas de bureau attitré). Souvent mal perçu par les salariés (incertitude sur le poste occupé ou la disponibilité, déshumanisation…), ce mode d’organisation pourrait bien bénéficier d’un regain d’intérêt, à condition d’être intégré dans une réflexion plus globale incluant le télétravail de l’avis des experts de Xerfi Precepta. En tout état de cause, l’essor du télétravail va probablement conduire à une refonte des surfaces exploitées, c’est-à-dire à des réductions ou au moins à une réorganisation.
Pour autant, toutes les stratégies de développement ne vont pas être remises en cause par la crise. Certaines répondent en effet à des tendances longues et ont même été validées par la crise, comme la digitalisation. Après une période de latence, ces leviers seront de nouveau actionnés à court ou moyen terme. L’enjeu de l’expérience utilisateur restera ainsi d’actualité, avec une probable intégration de la dimension sanitaire. Avec l’essor du télétravail, le bureau devra, plus que jamais, offrir des conditions optimales en matière de connectivité, confort et disponibilité de services sur site. Certaines tendances longues vont par ailleurs perdurer, comme le développement d’une offre de bureaux à haute performance environnementale. Entre autres exemples, Bouygues Immobilier développe des bâtiments à énergie positive et vise le zéro déchet sur ses nouveaux projets.
Pour s’imposer après la crise, les groupes intégrés (présents dans la promotion, les services et la gestion d’espaces flexibles) apparaissent naturellement les mieux positionnés. Bénéficiant de revenus diversifiés et d’une structure financière solide, ils seront en mesure de résister au choc. Les groupes immobiliers ayant misé sur les espaces flexibles comme Nexity (Morning Coworking) ou Bouygues Immobilier (Wojo) seront d’ailleurs mieux armés pour résister à la forte baisse d’activité qui touchera le segment et mettra en difficulté les petits opérateurs plus fragiles. Les acteurs ayant passé ce cap sortiront renforcés. Une concentration plus marquée du segment est probable à moyen terme. Si les foncières et investisseurs profitent d’un modèle de revenus relativement solide et épargné par la crise, ils devront toutefois intégrer des évolutions dans l’usage des bureaux et les attentes des utilisateurs. Les promoteurs apparaissent durablement fragilisés sur le segment des bureaux, compte tenu du recul des besoins de surfaces qui limitera le lancement de nouveaux projets. Leur salut pourrait peut-être venir de la demande en projets mixtes (logements/tertiaire) qui resteront d’actualité, notamment grâce au soutien des acteurs du logement social et intermédiaire.
Quant aux sociétés de services, elles devront faire évoluer leur offre pour jouer un rôle plus marqué d’accompagnement du changement pour les investisseurs et utilisateurs puisque le bureau a désormais une fonction d’espace social et doit ainsi offrir un cadre propice aux échanges, une meilleure qualité de confort que le domicile, et finalement contribuer à la constitution d’une culture d’entreprise. Leur connaissance fine des attentes des usagers des bureaux leur confère une légitimité pour développer des offres en ce sens. Elles devront par exemple être en mesure de proposer la conception et le suivi des travaux de réaménagement.
Montée des critères ESG, essor du bureau serviciel, recyclage urbain : quels impacts sur le marché et les stratégies ?
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