Une vidéo présentée par Alexandre Mirlicourtois
L’épargne, voilà l’ennemie du plan de relance et des efforts consentis par l’exécutif depuis le début de la crise de la Covid-19 pour préserver le revenu des ménages. A chacune de ses sorties, Bruno Le Maire le rappelle : les 100 milliards d’euros dormants sur les comptes des Français sont une entrave à la reprise. Tout part d’une équation simple : l’épargne est un résidu, c’est la partie du revenu disponible brut (c’est-à-dire après impôt) qui n’est pas consommée. Cet argent non-dépensé serait inutile, stérile, un trésor de guerre qu’il serait bon de réinjecter, de gré ou de force, dans les circuits de l’économie française pour sauver les entreprises.
L’épargne, ennemie de la consommation
Il y a du bon sens dans cette intuition. Les Français ont en effet mis énormément d’argent de côté pendant la période de confinement et ont surtout continué après, transformant leur épargne forcée en épargne de précaution : de mars à juillet le montant net des dépôts bancaires ont atteint près de 98 milliards d’euros. C’est plus de 60 milliards de plus que la moyenne constatée sur les 5 dernières années.
En face, la consommation n’a toujours pas atteint son niveau d’avant-crise. Aucune ruée dans les magasins ou frénésie dépensière compensatoire après la période de confinement, les Français ne se pressent pas pour dépenser plus. Conséquences, les niveaux d’activité restent très bas. Dégradés, les climats des affaires sont nettement inférieurs à leur moyenne de long terme et des niveaux atteints avant la crise dans le commerce de détail ou l’hébergement-restauration. Globalement, tous ceux dont l’activité est directement liée aux dépenses des ménages souffrent et avec eux l’ensemble de leurs fournisseurs. De fil en aiguille, ce sont des milliers d’emplois qui sont menacés.
L’épargne, fausse amie de l’investissement
Mais le procès en oisiveté de l’épargne ne peut pas être mené qu’à charge. Si l’épargne est peut-être l’ennemie de la consommation, elle est supposée être l’amie de l’investissement. Ce n’est pas simplement de l’agent qui dort. Son gonflement doit certes pour beaucoup aux sommes versées sur les dépôts à vue. Les montants cumulés entre mars et juillet ont approché les 60 milliards d’euros contre moins de 35 généralement constatés.
Mais les livrets d’épargne en ont aussi profité. Avec 37 milliards d’euros, les montants collectés sont 3,5 plus élevés qu’à l’habitude. Le livret A en a pleinement bénéficié, tout comme le livret de développement durable et solidaire (ex-Codevi) dont les collectes ont quasiment été multipliées par 2 sur les 7 premiers mois de l’année par rapport aux 7 mêmes mois de 2019. Et tous ces supports sont fléchés, on le sait, sur le logement social, sur le financement des PME. Autant de cibles du plan de relance qui seront en partie financées par l’épargne réglementée des Français. Le ministère a ainsi donné son aval à la Caisse des dépôts pour faire évoluer les conditions des prêts accordés à partir des livrets d’épargne réglementés. Ces prêts, à destination notamment des collectivités locales, pourront financer des projets prioritaires dans le cadre de la TEE, c’est-à-dire la transition écologique et énergétique, de la santé ou encore du tourisme.
Cela étant dit, l’épargne n’en reste pas moins dans le contexte actuel une fausse amie de l’investissement. Car si l’investissement public a besoin d’être activé, c’est précisément parce que l’investissement privé est en berne. Avec en arrière-plan un déficit de consommation dû à la préférence des ménages pour l’épargne. Et de surcroît, pour être financé sans tension, l’investissement public n’a nul besoin de l’épargne nationale et de circuits dédiés datant d’un autre temps. L’État peut se financer aujourd’hui, sans limite, à taux zéro, voire négatifs sur les marchés mondiaux que les banques centrales abondent en liquidités à guichet ouvert.
Bref, vraie ennemie de la consommation, mais fausse amie de l’investissement, l’épargne n’est pas de ces variables qui se gouvernent par injonction. Il faut avoir en tête qu’elle ne relève pas d’un choix discrétionnaire des ménages. Si elle demeure élevée, c’est aussi parce que les règles sanitaires continuent à brider une part significative des dépenses de service. Et face à une épargne forcée par les circonstances ne peut répondre qu’une désépargne forcée par l’État. Autrement dit, des instruments contraignants : fiscalité punitive, bons d’achat limités dans le temps, aides en nature…
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