La seconde main dans le luxe, une arme à double tranchant

Le luxe est l’un des secteurs les plus dynamiques des marchés de la seconde main. Et les perspectives s’annoncent prometteuses. Le risque de cannibalisation de l’offre de produits neufs est en effet limité. L’acheteur est en outre pratiquement assuré de pouvoir revendre son article de luxe avec une faible décote. La seconde main est aussi un bon moyen de séduire les jeunes générations. Mais pour les maisons de luxe, le risque est d’entacher leur image de marque et de réduire la désirabilité de leur offre avec des produits à des tarifs « plus accessibles ».

Les grandes marques de luxe ont emprunté différentes stratégies pour proposer des articles de seconde main à leurs clients. Certaines d’entre elles ont ainsi leur propre plateforme de vente en ligne d’articles d’occasion, à l’instar du maroquinier Lancaster avec Lancaster Seconde Main. Une fois l’article estimé, la plateforme remet aux clients un bon d’achat à utiliser en boutique. Après réception, chaque sac est examiné dans les entrepôts par les experts qualité. Les produits sont contrôlés, nettoyés et retouchés afin de retrouver leur état d’origine, puis revendus sur le site en ligne.

Une autre stratégie consiste à nouer des partenariats avec des acteurs clés du marché du luxe de seconde main comme Vestiaire Collective, Monogram ou encore Collector Square. En 2021, le groupe Kering a ainsi pris 5% du capital de Vestiaire Collective à la suite de quoi de nombreuses griffes du groupe ont déployé une boutique virtuelle sur le site du spécialiste (Gucci, Balenciaga, Alexander McQueen).

D’autres encore ont imaginé une offre de seconde main en physique. Le programme Rolex Certified Pre-Owned, lancé en décembre 2022 par Rolex, permet de certifier l’authenticité des montres de seconde main de la marque au moment de leur revente par un détaillant officiel. En 2023, Valentino Vintage a lui étoffé son réseau et propose désormais des articles d’occasion de la maison de couture dans trois nouvelles villes via les revendeurs suivants, Plaisir Palace (Paris), Rellik (Londres) et Janemarch Maison (Séoul), en plus de ceux situés à New-York, Los Angeles, Milan et Tokyo.

  

La discrétion plutôt que l’ostentation

D’autres maisons de luxe ont choisi de rester discrètes. Prada, qui ambitionne de développer une offre de seconde main, n’a pas pour l’instant pas dépassé le stade du test & learn. Pour fêter ses 90 ans, Lacoste a ouvert des boutiques éphémères en France pour proposer des articles vintage et de seconde main. D’autres griffes sont pour le moment uniquement positionnées sur une activité de reprise des vêtements, à l’image de Tommy Hilfiger.

Se positionner sur le marché de la seconde main est en effet à double tranchant pour les maisons de luxe. Certes, le potentiel de croissance de l’occasion dans le luxe reste considérable. Mais pour les acteurs du luxe, le risque est d’entacher son image de marque et de réduire le niveau de désirabilité de son offre, en favorisant une diffusion plus large et à des tarifs relativement plus accessibles de ses produits.

Le marché des produits de luxe de seconde main se singularise des autres marchés de l’occasion par plusieurs aspects. Ce type de produits perd relativement peu de valeur dans le temps. La qualité de ces articles leur assure en effet une plus grande durabilité, à l’image des montres ou des bijoux de luxe. Ils peuvent même voir leur prix augmenter, dans le cas des pièces iconiques les plus recherchées. Le corollaire est que le risque de voir les ventes de seconde main cannibaliser le marché du neuf est beaucoup plus limité dans le luxe. L’occasion peut au contraire contribuer à le stimuler. Un client est en effet plus facilement disposé à concrétiser l’achat d’un produit de luxe s’il a la certitude de pouvoir le revendre facilement avec une faible décote ou le considérer comme un investissement. Les liquidités issues de ces ventes ont ensuite une plus grande probabilité d’être mobilisées pour racheter un autre produit de luxe.

Le marché de la seconde main est aussi un puissant moyen pour les maisons de luxe de séduire les jeunes générations. Elle permet de rendre le luxe plus accessible et plus responsable, deux facteurs qui comptent dans les arbitrages de consommation de la génération Z, qui doit constituer à l’avenir une clientèle importante des boutiques de luxe. Au vu de ces éléments, le phénomène de la seconde main doit être observé de près par les grandes marques de luxe. Toutefois, dans la mesure où la valeur des produits de luxe repose en grande partie sur leur image de marque, les maisons de luxe ne doivent pas forcément se positionner directement sur le marché de la seconde main.

 

Après avoir été chargé de développement économique en collectivité territoriale, Benoît Samarcq a rejoint Xerfi en 2017. Il est spécialisé dans la distribution BtoC (alimentaire et non alimentaire) en tant que directeur d'études. Benoît Samarcq est titulaire d'un Master en droit, économie et gestion à l'IAE de Lyon 3.