AVIS D'EXPERT | Delphine David | Publié le 26 Avril 2022
CommerceBiens de consommationLa crise et l’engouement des Français pour l’aménagement de leur intérieur ont donné un nouveau souffle au marché des articles de décoration. Celui-ci a ainsi bondi de plus de 12% en 2021 à plus de 14 milliards d’euros après un repli limité en 2020 (-1,4% grâce au e-commerce qui représente environ 20% du marché). Et les ventes d’arts de la table/cuisine/objets de décoration, luminaires et autres articles de textile/linge de maison ne devraient pas s’arrêter en si bon chemin. En réalité, la croissance du marché va ralentir au rythme d’environ 3% par an en moyenne d’ici 2024 pour dépasser les 16 milliards d’euros. La faute notamment aux arbitrages des ménages en faveur des loisirs mais aussi à la généralisation de la pratique de l’occasion. Déjà ultra-compétitif, en particulier sur les segments du discount et de l’entrée de gamme (avec Action, GiFi ou B&M), le marché des articles de décoration ne cesse d’accueillir de nouveaux entrants avec la multiplication des marketplaces des distributeurs multimarques. Pourtant, les marques-enseignes n’ont pas dit leur dernier mot. A moyen terme, la bonne tenue du marché de l’immobilier et l’épargne accumulée par les Français pendant la crise soutiendront les ventes d’articles de décoration. Pour autant, la réorientation des dépenses des ménages vers des postes de consommation auxquels ils avaient dû renoncer en raison de la crise sanitaire (restauration, activités culturelles et sportives, voyages…), une fréquence de renouvellement des articles de décoration moindre mais aussi le développement de l’occasion constitueront autant de freins. Mis bout à bout, ces différents éléments militent donc pour un atterrissage en douceur du marché de la décoration.
Eclaté entre un nombre important de circuits de distribution aux profils variés, le marché des articles de décoration est entre les mains des grandes surfaces alimentaires (25% de part de marché), des enseignes d’équipement du foyer et d’ameublement-décoration (18%) et des enseignes de bazar et de déstockage (15%). Malgré la multiplicité des intervenants, le niveau de concentration est plutôt élevé. Ainsi, une vingtaine d’acteurs (tous circuits confondus) génère 60% des ventes totales. Après le leader Ikea, qui s’arroge environ 10% du marché, viennent entre autres E.Leclerc et Maisons du Monde. C’est dire que les enseignes spécialisées, d’ameublement-décoration et de décoration sont soumises à de fortes pressions concurrentielles. Les plus fortes émanent des pure players généralistes (Amazon, Cdiscount…), d’une part, et des enseignes de bazar et de déstockage (Action, GiFi…), d’autre part. Si les premiers sont en pleine consolidation de leurs positions, les seconds font preuve d’un dynamisme exceptionnel entretenue par l’extension rapide de leurs réseaux et l’arrivée de nouveaux opérateurs (B&M, KLO, Miniso…). Sans oublier la montée en puissance des pure players spécialisés dans l’ameublement-décoration dont la dernière génération est représentée par les Digital Native Vertical Brands (DNVB). L’essor des plateformes de seconde main constitue également un puissant facteur de déstabilisation du jeu concurrentiel. Une part croissante des achats d’articles de décoration s’est déplacée sur le marché de l’occasion où opèrent des acteurs parmi les plus importants du e-commerce (Leboncoin, Vinted) et des plateformes spécialisées (Selency, Luckyfind, Izidore…). Dans le même temps, le foisonnement de places de marché favorise l’indifférenciation des offres. Ces marketplaces sont lancées à l’initiative de grandes surfaces alimentaires, d’enseignes de bricolage ou encore d’électroménager qui ambitionnent d’enrichir ainsi toujours plus leurs offres en attirant une multitude de marques. La multiplication de ces plateformes participe également aux logiques de coopétition.
Or, nombre de marques-enseignes d’ameublement-décoration et de décoration rencontrent des difficultés financières. Certains ont ainsi fait l’objet de lourdes restructurations (Habitat, Alinéa) tandis que d’autres ont disparu du paysage. Comme si le modèle de la marque-enseigne avait fait son temps au profit de celui de distributeur multimarques, même si les DNVB commencent à faire bouger les lignes grâce à leur maitrise de la chaîne de valeur (en particulier la conception) et à leur agilité dans le domaine du digital (communication sur les réseaux sociaux, vente en ligne). Après l’optique, la beauté ou la lingerie, celles-ci s’attaquent désormais à des niches du marché de la décoration (linge de lit, bougies…) plutôt sur le milieu-haut de gamme.
Le contexte est pourtant propice au retour des marques-enseignes car elles maîtrisent le processus de création (par opposition à des distributeurs multimarques « simples sélectionneurs »). Elles ont donc une carte à jouer sur un marché tiré par les prix et aux offres standardisées. Elles vont revenir sur le devant de la scène parce que les marques de mode vont se diversifier dans la décoration, renouvelant les codes, à l’instar d’H&M qui vient de lancer un concept de boutique consacré à cet univers. De belles endormies vont également se réveiller, à l’image de Geneviève Lethu, rachetée par le groupe Cargo, et qui prépare la réouverture d’un site marchand à son nom. Enfin, certaines investissent dans le digital, à l’instar de Maison du Monde, l’une des rares marques-enseignes à s’être dotée d’une place de marché. D’autres se convertissent à l’occasion, comme La Redoute ou encore Ikea.
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